Stéphane Cuisset & Michel Séméniako
Exposition du 04 août au 17 septembre 2017
Vernissage le jeudi 03 août à 18h30 en présence des artistes
© Michel Séméniako
Exposition de la collection de la Galerie Le Lieu, présentée dans la salle du Pavillon.
La thématique explorée tout au long de l’année permet un nouveau regard porté sur la collection au travers d’œuvres évoquant l’idée de « traversée ». Fermée en 1995, la base sous marine de Lorient a été le sujet et l’objet d’un travail confié à deux photographes, ils ont su donner une perspective d’humanité et d’avenir à cette masse de béton.
Ce travail a été réalisé dans le cadre d’une mission confiée à Michel Séméniako et Stéphane Cuisset par la Ville de Lorient.
© Stéphane Cuisset © Michel Séméniako
A propos de la mission :
La mission photographique sur la base de sous-marins a pu être réalisée pendant l’hiver 1997. L’histoire ne se répète pas. Avec plus de cinquante ans d’âge depuis sa construction et son utilisation par le lIIe Reich, la base de sous-marins de Lorient aura, pour demain, un avenir à inventer qui ne soit si possible, ni négationniste, ni nostalgique, ni folklorique. La Galerie Le Lieu aurait aimé y produire une grande mission artistique avant que les hommes qui y avaient leur travail, leur culture, leur mythologie personnelle et collective n’en partent. Cela ne fut pas possible. Aussi la mission a-t-elle hérité (mais n’est ce pas le lot de presque toutes ces opérations ?) d’une situation de passage, d’un entre-deux. Pas tout à fait comme avant, pas encore comme demain, un temps suspendu. Énorme masse architecturale sur un territoire déserté, un espace suspendu. Pour cela nous avons intitulé la mission : Non-Lieu. C’est-à-dire, aussi, un jugement suspendu.
Les deux photographes choisis, Stéphane Cuisset et Michel Séméniako avaient en commun avec la Galerie, un principe de départ : la base est une architecture militaire, produit d’un système d’organisation sociale et de domination qui ne pourra en rien être glorifié ou fétichisé. A contrario, considérer la base dans son état actuel – ce non-lieu – comme un espace de création où la photographie jouera le jeu de sa propre fragilité, de son caractère éphémère. À partir de là, après échanges et discussions, et en respect avec la démarche photographique de chacun, Stéphane Cuisset produira un travail attentif à l’architecture, dans son rapport au site, à l’environnement naturel, et aux traces des hommes ; Michel Séméniako, lui, travaillera à la construction d’un imaginaire passible du site.
STÉPHANE CUISSET
À l’écoute des écritures photographiques d’illustres aînés, Stéphane Cuisset affiche et peaufine une ligne photographique à la fois descriptive, documentée et ouverte à l’imaginaire par la variété des dispositifs de prise de vue et une position de regard différenciée par rapport à ses sujets. Variations autour d’un motif, pour être aussi juste que possible.
Ce qui suppose pour l’auteur, et le travail sur la base le confirme amplement, de se consacrer longuement à l’exploration des territoires physiques et humains concernés. Comme dans d’autres commandes publiques, Stéphane Cuisset a construit une sorte d’économie iconographique du site dont la logique est faite de plusieurs pièces qui s’opposent et se complètent : de la périphérie au cœur, de l’extérieur à l’intérieur, de la hauteur au plain- pied, du noir et blanc à la couleur, du mouvement à la pose, de la dénotation à la connotation etc… Cette construction — il faut évidemment la voir in extenso — outre qu’elle donne du rythme, crée des jeux d’équilibres instables entre les séries d’images et des perspectives trompeuses dans les images, modifie la valeur des échelles. C’est cependant, en douceur, sans spectacle (à l’opposé de Séméniako sur le même site) qu’il impose une révision des lieux ; l’énorme masse architecturale est décomposée, tout en gardant sa brutalité, et l’accident ou l’anecdotique sont mis en tableau, tout en gardant leur intimité. Économie économique qui arrive à dire le plus avec le moins.
MICHEL SÉMÉNIAKO
Michel Séméniako pratique intensivement la photographie depuis 1979, dans une définition qu’il a lui-même qualifiée « d’images négociées ». Négociations à géométrie variable où l’on pourrait entendre aussi bien le souci d’avoir toujours à construire un rapport social avec ceux concernés par la prise de vue, que celui de laisser au médium faire son commerce entre enregistrement mécanique et mise en scène et, que celui, peut-être aussi, de mener sa barque professionnelle entre les dures lois de la nécessité – celles du marché, par exemple – et les rares et précieuses ouvertures d’espaces du possible. On pourrait dire aussi que Michel Séméniako est à la fois un grand voyageur de toutes les couleurs de l’exotisme (de la banlieue parisienne à Lorient, en passant par l’Afrique, l’Asie et l’Inde…) et un explorateur qui met à jour (si l’on peut dire, pour des photographies de nuit) des mondes inconnus, étranges, fantomatiques, et les vertus proprement magiques de la photographie elle-même. Ce que l’on découvrira d’emblée avec les images de la base de sous-marins, aussi étonnantes que celles réalisées dans des sites autrement chargés de noblesse et de prestige. Mais sans doute faut-il aussi ajouter que les paysages, les sites, les monuments n’intéressent l’auteur qu’à la mesure de leur poids d’histoire, de réalités humaines, des empreintes, des signes que les hommes y ont imprimés : et ici, la base des sous-marins ne fait pas exception.
Incontestablement spectaculaires, les images de la base ont la beauté des choses imaginées mais jamais vues. Avec l’inévitable première question : mais comment fait-il ? Réponse : de nuit, sur le site, l’auteur promène ses lampes de poche, ses torches, ses filtres. Pendant que l’appareil photo enregistre, avec des temps de pause variables selon la taille du site, Séméniako éclaire les éléments qu’il souhaite voir apparaître dans l’image. Entre veilleur de nuit, sculpteur et peintre (au pinceau lumineux), il contourne, fait frissonner, caresse les objets, en gardant à l’esprit la nature et la culture du site.
Au final ce qui est photographié, c’est moins la base elle-même qu’une sorte de seconde peau, un fantôme, avec ses tatouages, ses marques. Il règne dans ses images un silence religieux ciel et mer – pourtant incontournables à la base – sont devenus immatériels, sans nuages, sans clapot, sans mouvements, constituant un écrin, clos sur lui-même. Dans cet écrin, la base est devenue la scène d’un théâtre où se projette tout une dramaturgie fantasque et fantastique.