En pleine mer où je suis né

Une résidence de transmission en milieu insulaire de Clément Chapillon

C’est en 2023, lors de notre rencontre avec Clément Chapillon à l’occasion de son exposition Les rochers fauves présentée au Lieu, que naissent et se dessinent les contours de ce projet de résidence. En pleine mer où je suis né s’inscrit dans la suite des recherches autour du sentiment d’iléité entamées par le photographe sur l’île d’Amorgos.

Habiter le littoral insulaire, c’est un peu vivre entre deux mondes. Le sentiment océanique serait une expérience fulgurante, rare, illimitée, une sensation d’éternité, comme aime à le dire Rimbaud. Un sentiment d’unité, de compréhension et de conscience élargie évoquée par l’écrivain Romain Rolland, il y a plus d’un siècle.

Ce projet de résidence de transmission souhaite explorer le « sentiment océanique » tel qu’il peut être ressenti sur Groix, à travers le regard des jeunes de l’école primaire de La Trinité et des résidents de l’EHPAD Ty Laouen. Par un cycle d’ateliers de pratique photographique et artistique, cette résidence invite les habitants à représenter, mettre en image cette expérience vécue sur leur île, à retracer la mémoire de l’île Groix à travers les époques, en prenant appui sur l’imagination de l’enfance, la sagacité des anciens et les archives insulaires.

L’île est ce lieu privilégié du dialogue entre le réel et l’imaginaire, qui a toujours fait rêver et donne à l’existence des iliens une singularité propre. Mais son isolement nous pousse a créer d’autres ponts, celui temporel du rapprochement générationnel entre l’Ephad et l’école, mais aussi entre les 4 éléments fondateurs qui la constituent. à travers le médium photographique, il s’agit de sonder son rivage pour révéler la beauté de ses particularités actuelles, puiser dans son histoire et ses légendes bretonnes, pour comprendre comment le sentiment océanique peut façonner nos existences. Par ce pont générationnel, cette résidence est une quête photographique pour capturer le lien unique qui unit les groisillons à l’océan.

Comment se matérialise cette vibration unique entre l’homme et la mer dans cette communauté insulaire ? Le projet ambitionne de documenter ce lien, de raconter son évolution entre les générations au travers de thématiques artistiques, d’angles et de territoires spécifiques sur l’île, comme par exemple : Le grand large, l’écume, le bleu, l’horizon, L’infini, la profondeur, le chant des sirènes, les poissons et la pêche, plongée et apnée…

© Clément Chapillon

« Pour des jambes d’enfant, le rivage c’est toujours un peu loin. Et puis chaque étape est un jeu, une occasion de se cacher, une branche qui devient une épée, un rocher à escalader. Les enfants regardent le monde avec le microscope de leurs désirs.

La limite ce n’est pas non plus l’horizon. Tout change si vite, les nuages, les couleurs du soir et celles du matin, la pluie aussi comme une grande herse grise qui vient sans se soucier des hommes.

Une île pour les enfants, ce sont les visages que l’on connait, des rencontres sans crainte, des noms précis qui disent chaque personne et presque son histoire et des mots qui désignent chaque recoin de leurs parcours.
Une île c’est un univers bien à sa place. Un lieu sûr d’où l’on peut regarder venir les vents avec leur bagages de feuilles et mesurer l’obstination de l’eau à user le rocher.

Les enfants d’une île éprouvent très tôt ce mélange d’évidences et d’énigmes et le but de notre travail a été de leur permettre d’interroger cet ordinaire que l’on sait sans trop le voir. De le regarder autrement puisqu’une photo n’est après tout qu’un monde que chacun met en morceau au gré de ses goûts et de sa mémoire.

Nous avons arpenté l’île de Groix, en suivant l’imagination de l’enfance, les récits des anciens et ce que les archives disent d’une plus vaste histoire. L’insularité rend solidaire, elle rapproche l’Ephad et l’école et les voix des enfants parlent toujours des récits des anciens. Quelques photos et un travail collectif, pour dire simplement les âges, les visages, les rivages et les multiples façons dont l’histoire se mêle aux légendes Bretonnes. Des parcours d’enfance, pour comprendre comment une île façonne des existences. »

Yannick Jaffré
Anthropologue, Directeur de Recherche au CNRS