Exposition du 17 juin au 31 juillet 2016
Sabine Meier est née en 1964. Elle vit et travaille au Havre.
Sabine Meier pratique la photographie depuis une quinzaine d’années. Elle expose son œuvre régulièrement, dans des institutions en France et à l’étranger. Plusieurs de ses travaux figurent dans des collections publiques (Fonds national d’art contemporain) et privées. Elle a reçu à différentes occasions, le soutien de la Direction régionale des affaires culturelles et du Fonds régional d’art contemporain de Haute-Normandie, de la ville de Munich, du Centre culturel français d’Helsinki, du centre photographique PERI de Turku et de la Galerie Pôle Image de Haute-Normandie. Diplômée de l’École Nationale Supérieure des Beaux-arts de Paris, licenciée en esthétique de la photographie et agrégée d’arts plastiques, elle s’inscrit dans le champ de la création artistique contemporaine.
Dès l’origine, Sabine Meier pense son travail photographique à partir de programmes conceptuels précis (inventaires, dispositifs). Elle dit s’être rendu compte, peu à peu, que ses objectifs théoriques trouvaient leur traduction dans des systèmes visuels “construits en boucle” et “clos sur eux-mêmes”. L’artiste réalisera que ses images mettent en échec les programmes qui sont à l’origine de leur conception même. “Peu à peu l’évidence s’est imposée : c’est cette faillite que je visais, c’est l’incapacité de la photographie à représenter ce qu’on voudrait lui faire dire, à présenter le simple fait qu’elle est une photographie, qui faisait mon sujet”, précise Sabine Meier. Son travail s’oriente alors naturellement vers l’autoportrait, conçu comme une “image d’un circuit fermé” qui n’exposerait finalement que “les modalités de son apparition”. L’autoportrait est pensé comme la discipline manifeste de l’autonomie de l’art (de la photographie). Le corps de l’auteur est l’opérateur de la prise de vue tout en étant le modèle.
Sabine Meier s’inscrit dans ce que Martine Lacas définit comme une “non-familiarité avec son autoportrait”. La figure est présente tout en étant distancée, voire en quête de disparition. Les autoportraits de Sabine Meier ne révèlent aucune psychologie. Impassibles, ils sont en phase avec les profondeurs de vides données par les compositions des images.
À la limite parfois de protocoles picturaux et abstraits, l’artiste opère une “non-incarnation” de la figure, en dehors de tout souhait de représentation littérale ou anecdotique : “Ce que je recherche tient de ce que l’on pourrait identifier à un désinvestissement, à un retrait de l’image comme description, à une absence, voire à un aveuglement consenti. Travailler dans le noir” précise-t-elle.
Portrait of a man (Rodion Romanovitch Raskolnikov) est un travail photographique fruit de la résidence Le Havre / New York, regards croisés, réalisé à New York (octobre – décembre 2011) puis dans l’atelier de l’artiste au Havre (août 2012).
Cet ensemble constitue un portrait photographique de Rodion Romanovitch Raskolnikov, héros du roman de Dostoievski, Crime et châtiment. Ce roman, qui dépeint un double assassinat et ses conséquences physiques et psychiques sur le meurtrier Raskolnikov, retrace le cheminement douloureux qui aboutira à un salut inattendu.
« Du roman, je ne me souvenais que de Raskolnikov dont l’espace mental ne cesse de changer de forme, de quelqu’un qui marche, qui marche toujours, qui s’abrutit de sommeil autant qu’il rumine jusqu’à l’épuisement. Tombe et se relève […] En 2009, j’étais allée à New York. L’impression la plus vive avait été la modulation de l’espace : condensation, dilatation, expansion à des échelles non familières pour un œil européen, le rapport disjonctif entre les perspectives infinies et des détails architecturaux très travaillés. Et puis, il y a eu la visite à Ellis Island : des gens qui viennent d’Europe et se lancent dans le vide. Ce lieu a été l’instant d’une métamorphose dans ma vie. Un retournement.»
Si l’on peut parler d’adaptation photographique, celle-ci n’est pas la restitution fidèle de la narration romanesque, mais donne à voir le portrait proprement dit du principal protagoniste.
À New York, Sabine Meier a trouvé dans les modulations de l’espace et la lumière, les leviers fictionnels dont elle avait besoin. Mais, cette photographe de studio a dû adapter ses modalités de travail aux rues de la ville : un matériel léger et des prises de vue rapides. C’est dans ces mêmes rues que l’artiste trouve trois de ses modèles, incarnations des personnages du roman. Benjamin George Filinson, son Raskolnikov, accepte de la rejoindre en France pour poursuivre le projet. En ce qui concerne la seconde partie du travail, l’artiste a réalisé dans son atelier au Havre un décor modulable, restituant la chambre du héros de Dostoïevski, à l’image de son univers mental en constante métamorphose. Une série d’espaces, réduits à de simples signifiants, une chaise, une porte, une fenêtre, un couloir, un mur dans lesquels sont inclues en trompe-l’œil, d’autres vues préalables, tirées sur bâche, selon son mode opératoire habituel.
L’exposition Portrait of a man (Rodion Romanovitch Raskolnikov) dont la première s’est tenue au MuMa (Musée d’art moderne André Malraux – Le Havre) se compose de 86 photographies couleur, d’un diaporama d’environ 250 photographies en vidéo projection et d’un livre dont le texte a été confié à un écrivain. « En ce qui concerne le diaporama, j’ai procédé à un montage quasi cinématographique qui respecte l’évolution romanesque du personnage de Dostoïevski. Certaines images fonctionnent par séries, d’autres isolément. »
Dans une intervention sur La question du corps : Le modèle et l’obstacle, en 2010 aux Mercredis de Créteil, Sabine Meier dit du procédé photographique : « Qu’est-ce qui fait qu’une machine dont la fonction est de produire une représentation, puisse aussi parfois devenir, je ne sais par quel phénomène, un capteur d’Être ? J’ai beau connaître les lois optiques et chimiques qui sous- tendent le procédé […] rien n’y fait, l’image photographique me bouleverse toujours autant. Et ce, de manière redoublée, quand elle montre l’image d’un corps. J’ignore à quoi tient cette émotion. Elle est un mélange indémêlable de mélancolie, de fascination et de désir. » Cette exposition s’inscrit donc pleinement dans le cheminement artistique de Sabine Meier qui depuis plusieurs années questionne le corps dans son rapport à l’image : « Si le modèle émeut le photographe, et, en lui, le désir de photographier, n’est-ce pas parce que son corps est celui d’un mutant, un corps en passe de devenir une image ? » Ces images qui tentent de saisir la présence fragile, parfois en creux, d’un corps, ne laissent aucune place à l’anecdote, car elles ne cessent d’interroger l’être dans sa présence au monde.
Publication à propos de l’exposition :
Rodion Romanovitch Raskolnikov (Portrait of a man),
Martine Lacas (texte), Sabine Meier (photos).
Ed. Loco, Paris, 2014, (56 photographies issues de l’exposition).